top of page
Mamoun Kadiri
IMG_20210815_131211.jpg

Mamoun Kadiri est architecte diplômé de l’ENSA de Paris Val-de-Seine en 2018. Sa prise de conscience des grandes problématiques écologiques, lors de ses études, l’a amené à remettre en question les aspects énergivores et hors-sol de la construction dite « conventionnelle». Sols, climats et matériaux lui sont apparus comme des paramètres fondamentaux, notamment à la lecture d’auteurs comme Hassan Fathy, André Ravéreau, et Bernard Rudofsky

Qui es-tu ? Peux-tu te présenter ?

 

Bonjour, je suis Mamoun Kadiri, je suis diplômé en architecture. Je suis né ici, à Béni Mellal (1), où j’ai passé mon enfance. J’ai fait mes études secondaires dans un lycée français de Casablanca et, juste après mon baccalauréat, je me suis rendu à Paris pour mes études en architecture. J’ai étudié à l’ENSAPVS (2). En tant qu’étudiant à l'école d'architecture, j’ai commencé à me poser des questions sur l’acte de construire. J'étais très intéressé par un sujet en particulier : le fait d'élargir la vision de la construction de l’architecte, en ne se focalisant pas seulement sur la conception mais tout ce qui se passe avant et après, c’est-à-dire, la fabrication du matériau, leur origine, leur mise en œuvre, etc. Le geste des bâtisseurs m’a donc occupé l’esprit durant mes années de master en architecture. Lorsque j’ai eu mon diplôme et ma HMONP (3) à Paris, j’ai décidé de revenir à Béni Mellal. Je réalise à présent une expérimentation sur les BTC dans l’usine familiale, qui existe depuis les années 1970. J’ai trouvé le terrain idéal pour faire des expériences sur la construction, plus spécifiquement en terre. 

 

L’origine de ma décision de m’installer au Maroc provient de cette idée de réaliser une expérimentation sur la construction en terre, née il y a 3 ou 4 ans, au cours d’un workshop en Belgique avec l’agence BC Architects (4) où nous produisions des B.T.C (5). J’ai immédiatement été intéressé par ces techniques et plus globalement par la construction en terre de manière globale. Au Maroc, il y a une culture très ancienne de construction en terre et cela m’a semblé un terrain idéal pour faire renaître ces techniques ancestrales. A Béni Mellal, installé depuis maintenant un an, j’ai commencé mes expériences sur les blocs de terre compressée, d’abord avec une presse manuelle. Nous avons produit des blocs de terre à partir de la terre locale du site.

 

1. Béni Mellal est une ville du centre du Maroc située au pied du Moyen-Atlas, à la limite de la plaine de la Tadla. Avec une population avoisinant les 200 000 habitants, elle est la principale ville et le chef-lieu de la région de Béni Mellal-Khenifra

2. École Nationale d'Architecture de Paris-Val-de-Seine

3. HMONP: Habilitation à la Maîtrise d’œuvre en Nom Propre. 

5.  BTC : Bloc de terre compressé. , sortes de pisé en briques, sont fabriqués dans des presses qui compriment de la terre humide et pulvérulente. Cette technique récente présente, comme celle des adobes, les avantages liés à la maçonnerie de briques. Si faire appel à une presse demande un investissement plus conséquent, les blocs obtenus sont immédiatement stockables, contrairement aux adobes qui doivent sécher sur de vastes aires de production avant de pouvoir être manipulées.

vlcsnap-2021-09-30-08h53m44s333_edited.p

Qu'est ce qu’évoque l’architecture de terre pour toi ?

 

L’architecture de terre m’évoque la simplicité. C’est vraiment cet aspect là qui m’a attiré d’emblée. On travaille avec un matériau local de proximité immédiate, abondant et toutes les étapes logistiques sont simples et intuitives, accessibles à tous, y compris aux enfants. C’est cette approche directe, cette immédiateté du matériau qui m’ont de prime abord séduit. Mon intérêt pour l’usage de la terre m’est survenu à partir d’un questionnement sur l’histoire de la construction, des différentes solutions d’utilisation des matériaux dont les humains ont fait usage pour s’abriter, terre crue, pierre, bois…L'usage de la terre représente vraiment pour moi cette notion même de simplicité.

Tu as suivi ton enseignement à l'ENSA-PVS est ce que tu as pu apprendre et aborder des problématiques de construction en terre ?

 

En fait, c’est à partir de la troisième ou quatrième année, au moment où je commençais mon Master et me posais de nombreuses questions sur le sens de ce que l’on bâtit et les techniques actuelles de construction. En particulier le béton armé qui pose de réels problèmes écologiques. J’ai alors commencé à m’intéresser aux matériaux naturels, terre, pierre.. J’ai trouvé un cadre idéal à l’ENSA-PVS parce que les enseignants, plutôt réceptifs et très à l’écoute, m’ont encouragé dans ce sens-là.

J’ai ensuite commencé mes recherches sur la construction en terre en général avant de me pencher sur les techniques traditionnelles au Maroc et au patrimoine local. J’ai visité des villages dans la région de Béni Mellal qui m’ont beaucoup influencé et inspiré dans cette démarche.

 

Figure 1. Voûte nubienne prototype sur le site industriel de l'entreprise familiale de Béni Mellal. Août 2021.

vlcsnap-2021-09-30-08h54m19s399_edited.p

Tu t’es formé en France et tu as fait le choix de rentrer exercer au Maroc, pourquoi ? 

J’ai toujours eu pour objectif de retourner au Maroc. Lorsque j’ai terminé ma formation initiale et obtenu ma HMNOP, ce moment du retour est arrivé, naturellement, avec pour projet une production de B.T.C, mûri depuis de nombreuses années et j’ai pu en commencer l'expérimentation.

Figure 2. Calepinage de la voûte nubienne prototype sur le site industriel de l'entreprise familiale de Béni Mellal. août 2021.

vlcsnap-2021-09-30-08h56m45s925_edited.p

L'Entreprise familiale dans laquelle tu travailles est spécialisée dans la production de béton, quelles sont tes ambitions ?

 

Ici, nous sommes au sein d’une entreprise familiale qui fabrique des matériaux de construction “conventionnels”, ce qu’il y a de plus courant au Maroc -béton armé, poutrelles, hourdis, agglomérés de béton de ciment. C’est une usine qui existe depuis de nombreuses décennies. J’y vois surtout un terrain favorable pour des expérimentations, en pouvant profiter de l’activité de l’usine, de l’expertise en matière technique, des engins et machines, de la logistique de transport et de transformation et du savoir-faire des équipes (serrurerie, métallerie). Les conditions idéales pour adapter ou réaliser des machines et faire mes premiers essais y sont réunies.

Est-ce que tu essuies des réticences de la part des gens face à ta volonté de construire en terre ?

 

Effectivement, il n’est pas simple aujourd’hui de faire passer cette idée de construire en terre au Maroc. Cela évoque pour beaucoup l’idée d’un retour en arrière. La terre est un matériau qui peut passer pour “pauvre, précaire” et donc mal apprécié. Or, c’est un matériau pourvu de qualités très intéressantes du point de vue du confort thermique des bâtiments, de la réponse aux enjeux et contraintes en matière d’approvisionnement et de raréfaction des ressources (sable), de consommation énergétique (cuissons des pulvérulents (6)), et pollution (émission de gaz à effet de serre). Les recherches actuelles permettent de comprendre que c’est un matériau incontournable si l’on s’intéresse de manière adaptée à la résolution des contraintes climatiques et de confort de l’habitat.

 

Figure 3. Mise en place de la presse hydraulique pour la création des BTC. Août 2021.

vlcsnap-2021-09-30-08h51m04s843_edited.p

L'architecture en terre peut-elle rimer avec l'architecture moderne ?

 

Je vois la terre comme un matériau d’avenir, héritage d’un passé très ancien et prolongé, utilisé au Maroc -et ailleurs- pour la construction des bâtiments et ouvrages d’art. On peut le voir comme une bibliothèque du savoir phénoménale et en tirer profit. Je l’imagine vraiment comme un matériau d’avenir, profitant des expériences et leçons du passé, de “modernité “ architecturale -si l’on peut parler de “modernité” en architecture. En tous cas, cela me semble être un matériau résolument d’actualité.

 

Tu as expérimenté en partant de zéro mais est-ce qu'il est difficile de trouver encore ces savoir-faire ?

 

Au Maroc, on a les savoirs-faire mais ils sont de plus en plus rares car les gens qui maîtrisent les techniques d’utilisation sont très souvent relativement âgés et rencontrent des difficultés à transmettre aux jeunes leurs savoirs qui, dès lors, se perdent.

Lorsque je suis rentré au Maroc pour redécouvrir toutes ces choses, j’ai rencontré des artisans qui m’ont expliqué un peu leur pratique, mais j’ai surtout eu la chance de rencontrer un entrepreneur à Marrakech, Oussama Moukmir (7), très pédagogue, capable d’expliquer les différentes étapes d’utilisation de la terre et qui m’a ainsi permis d’envisager en détail le domaine de la construction à travers ses conseils.

Je trouve qu’il est vraiment nécessaire aujourd’hui de trouver les personnes susceptibles d’expliquer les pratiques et techniques de construction en terre car je pense qu’il est possible d’en comprendre l’intérêt : il est juste nécessaire de prendre le temps de l’expérimentation.

Il est vrai que, dans les régions rurales, des artisans sont sollicités pour des projets modestes, isolés, pour le tourisme, des hôtels en montagne, des gîtes. Mais on ne peut pas dire qu’il y ait un réel mouvement national de redécouverte de la construction en terre.

 

Figure 4. Mise en place de la presse hydraulique pour la création des BTC. Août 2021.

vlcsnap-2021-09-30-08h52m24s065_edited.p

Est-ce que tu crois que la terre est un matériau adapté aux territoires urbains ?

 

Je pense que la terre a le potentiel d’un matériau d’avenir aussi bien dans le rural que dans l’urbain. Toutefois dans l’urbain, de nombreuses questions d’urbanisme se posent ainsi que des questions d'échelle plus grande. Aujourd’hui, nos villes nouvelles sont complètement différentes des anciennes cités. Il y a une rupture franche entre les centres-ville anciens et les nouvelles villes au Maroc. Le tissu social n’est pas le même, ni la morphologie du bâti.

Je suis pourtant convaincu que l’on peut réintégrer la terre dans la construction en ville, même de façon progressive en l’intégrant par exemple au béton armé. Aujourd’hui, le cadre réglementaire permet ces constructions, même si les réalisations sont peu nombreuses. Il se peut que les administrations elles-mêmes ne soient pas ouvertes, familiarisées à ce type de construction. Vraisemblablement, il y a des questions de sensibilisation, de formation des concepteurs, architectes et urbanistes et toutes les équipes de professionnels concernés, en particulier les ingénieurs.

Dans la mesure où il y a eu, historiquement, des centres urbains en terre, pisé ou pierres, il n’y a pas de raison qu’on ne puisse pas le faire aujourd’hui, même si les bâtiments sont de conceptions différentes. Il est vrai qu’il ne s’agit pas simplement de remplacer des parpaings par des BTC. Il s’agit de penser une refonte des modèles architecturaux.  A mon sens,  il n’y a pas encore assez de réflexions sur l’acte de construire parce que l‘urgence de réaliser des habitations prime, l’étalement des villes nouvelles se réalisant très rapidement au Maroc. Je pense que l’on gagnerait à remettre en question notre façon de construire, à se donner le temps de réfléchir et penser différemment.

 

Figure 5. Mamoun Kadiri, architecte & entrepreneur. Août 2021.

vlcsnap-2021-09-30-08h50m33s459_edited.p

Quels sont les inconvénients à la construction en terre de nos jours ?

 

Plutôt que d’avantages ou d’inconvénients, je parlerais d'entraves. Ce qui empêcherait aujourd'hui la construction en terre c’est le rapport au temps, caractéristique de notre époque, l’urgence érigée en nécessité, méthode, culture. Le principe même du parpaing, structure creuse que l’on emplit avec du béton, très rapidement.

Même si le défi de construire vite peut être un frein à la construction en terre, il existe des techniques qui pourraient permettre de dépasser cet écueil d’avant l’innovation et la possibilité d'utiliser le matériau en l’adaptant à nos ressources techniques actuelles. Il ne s’agit pas de retourner à l’ère du Pisé ou de l’Adobe traditionnel (8), mais de mettre au point la mécanisation du processus de fabrication, de la construction et la nécessité de conserver un équilibre avec l'intervention humaine.

Figure 6. Mamoun Kadidir sur le site de l'usine Béni Mellal. Août 2021

vlcsnap-2021-09-30-08h54m13s571_edited.p

Comment conserver le savoir-faire tout en réduisant la pénibilité du travail ?

 

En revenant à Béni Mellal, pour notre première expérimentation, avec une presse à B.T.C manuelle, toute simple, nous avons produit une centaine de blocs. J’étais curieux de tester la qualité des briques, en réalisant un prototype à petite échelle pour démontrer la possibilité de faire avec des blocs de terre tout simples. Nous avons alors rencontré Oussama Moukmir qui nous a formés durant une semaine. L’idée était de réaliser une coupole pour expérimenter les franchissements d’espaces avec un seul matériau de maçonnerie. L'expérience factuelle de construction en terre est la façon la plus sûre de l’apprendre. De nombreux problèmes techniques, insoupçonnables au départ, se dévoilent au fil de l’organisation logistique de la construction : transports sur courtes distances, manutention, mélange du mortier…

 

Ce chantier nous a permis de communiquer sur cette nouvelle relation avec la technologie de construction en terre dans la ville même de Béni Mellal et surtout d’expérimenter réellement une construction de nos propres mains. L’évolution du bâtiment, jour après jour, nous a permis de conforter notre assurance sur le potentiel de cette technique, que je n’avais jamais utilisée auparavant : bâtir des arcades, des coupoles, utiliser des coffrages, franchir des espaces avec des briques, des briques de terre.

 

Figure 7. Mamoun Kadiri expliquant la onstructi ndu prototype de voûte nubienne. Août 2021

vlcsnap-2021-09-30-08h56m51s483_edited.p

Lorsque l'on pense à la pénibilité du travail dans la construction, comment la construction en terre requalifie le travail ?

 

L’évolution récente de la construction dans le monde occidental en particulier, étendue depuis à la planète, à conduit à une réduction de la technicité et de la qualification du travail humain. Le travail des ouvriers du bâtiment est dès lors dévalorisé. En fait, le matériau en lui-même (béton, parpaing)  facilite le travail et réduit la demande en compétence. A l’inverse, dans les constructions traditionnelles, le maître maçon avait la maîtrise sur le processus et l’apprentissage des savoirs-faire était long ; le travail de maçonnerie était alors valorisé.

 

Revenant aujourd’hui à des matériaux du passé, comme la terre, j’ai toujours eu des réactions positives des ouvriers au fait de l’existence de ce matériau. Les gens d’ici ont généralement vécu dans des maisons anciennes en terre et nombre d'entre eux ont participé à la construction en terre. D’abord intrigués, la plupart des gens retrouvent rapidement les sensations et la compréhension thermique du matériau : ils comprennent la différence de confort d’avec les bâtiments modernes.

 

Pour ce qui concerne la mécanisation de la construction, je travaille sur un processus semi-industriel. Je produis des blocs de terre au moyen d’un processus qui consomme très peu d’énergie, sans cuisson ni transformation intense du matériau. L’essentiel est de s’inspirer du passé en réduisant la pénibilité du travail. Ici, nous avons de la terre compactée sous forme de petits blocs qui seront maçonnés ensemble pour façonner des murs. Le travail de compression, réalisé au moyen d’outils rudimentaires comme le pisoir traditionnel qui demande beaucoup de temps et est pénible pour les ouvriers, est remplacé par une machine. On peut alors le travailler sous forme de blocs autobloquants. Cela accélère le processus de construction tout en conservant les avantages de la terre crue. 

Il importe aujourd’hui de conserver un équilibre pour la production, de ne pas aller de l’extrême traditionnel à l’industrialisation totale qui oblitère le savoir-faire humain. Il est capital d’adapter le système de production aux impératifs écologiques,  aux capacités de production et aux compétences humaines.

 

Figure 8. Prototype de voûte nubienne. Août 2021

vlcsnap-2021-09-30-08h56m36s113_edited.p

Pourquoi une démarche documentaire ?

 

L’idée du projet vidéo est justement de permettre après un recensement de l’activité autour du “matériau terre” au Maroc, de diffuser des images du patrimoine et des initiatives nouvelles sur l’ensemble du territoire. Il est tout aussi important de donner la parole aux entreprises et personnes concernées par ce sujet afin d’en répandre l’information. Les porteurs de projets autour du matériau terre peuvent susciter de l’intérêt jusqu’à créer des circuits et filières innovant.es susceptibles de participer à une évolution du mode de construction dans ce pays qui prendrait de plus en plus en compte les réalités environnementales d’aujourd’hui.

 

Le Maroc étant un pays extrêmement vulnérable à la dépendance énergétique (88% en 2020), il me paraît urgent et nécessaire de prendre en compte toutes les initiatives pouvant permettre une réduction, si minime soit elle, de la consommation énergétique.

Figure 9. Courbure de la voûte. Août 2021

bottom of page